« J’pense qu’on vit toujours avec le doute. On va toujours vivre avec le doute. C’est juste que… tu peux marcher du côté lumineux du doute qui va t’apporter ben, ben, ben des questionnements pis des interrogations intéressantes. Pis si tu marches du côté obscur du doute, c’est autodestructeur, tsé, où sa paralyse, tu fais rien, tu veux pas rien dire. Moi, j’viens d’une génération, on était pauvre. […] Mais la plus grande pauvreté, c’était de dire “on peut pas l’faire”, “on n’a pas le droit d’parole”, “on est mieux d’se taire”, “on va prendre not’ trou”, “on n’a pas d’affaires icitte”… Ça! C’est la pauvreté. »
– Richard Séguin en entrevue avec la Fabrique Culturelle
On peut écouter la capsule complète ici
http://www.lafabriqueculturelle.tv/capsules/6941/la-source-des-mots-richard-seguin
Une amie m’a raconté un jour qu’un immigrant lui avait dit avoir reçu un précieux héritage : une chanson que son père lui avait transmise. Dans son nouveau pays d’adoption, cette chanson continuait de couler dans ses veines comme le sang de ses ancêtres. Cette chanson lui parlait de ses origines, de la terre d’où il venait. Cette chanson était pour lui un abri où il pouvait puiser la force pour continuer dans les moments difficiles.
Comme lui, nous pouvons tous fredonner une chanson qui a marqué notre territoire intérieur, notre vie. Si les mots nous échappent, nous n’avons qu’à fredonner l’air et les mots reviennent d’eux-mêmes. Parfois c’est l’inverse, les mots appellent la musique et la chanson retrouve toute sa force.
J’aimerais vous parler de la chanson. Celle qui bientôt sera chantée sur votre scène. Ce rendez-vous si beau entre le chanteur et vous, le public.
Et si je vous disais la CHANSON et ce qu’elle signifie pour moi.
Combien elle est porteuse de rêves. Comment venue de la rue, toujours, elle retourne à la rue, attendant sans impatience d’être cueillie par une oreille et une vie.
Et si je vous disais qu’il est essentiel de leur donner une scène, aux chansons pour qu’on puisse connaître leur visage et les entendre. Pour qu’on puisse les apprendre et les chanter. Si je vous disais que c’est le plus beau cadeau qu’on puisse se faire à nous et à notre chanson.
La chanson, c’est la plus fidèle des compagnes de notre histoire personnelle et collective.
La chanson est là, tantôt dans les rues, dans les villages, au fond des bois ou au sommet d’une montagne. Nul besoin d’électricité ou de microprocesseurs; c’est dans notre souffle qu’elle vit, dans la joie , dans nos peines , dans nos gestes de partage.
C’est parfois un cri, souvent un mot d’amour. Les chansons sont nées des regards, des sourires, du ciel immense, des routes, des visions éphémères ou des maux du cœur.
Les chansons sont des repères affectifs dans la trame de nos vies .
La chanson a besoin d’être chantée pour prendre tout son sens. Et nous avons besoin de la chanson pour aller quérir du sens.
La chanson est un art ambulant, un art du quotidien qui vient vers les gens et qu’on transporte en soi.
Les chansons sont toujours là, elles font partie de la vie.
La chanson accompagne les gestes de la vie.
Les chansons creusent des sillons dans les rêves de ceux qui ne rêvent plus.
Demandez à ceux et celles qui écrivent des chansons, ils vous diront que l’air, la mélodie, l’ombre et la lumière tout était là. Qu’il fallait seulement s’arrêter, écrire, qu’il fallait travailler, saisir les mots, les forger pour unir les sons et les mots. Il fallait surtout vivre et transmettre la vie aux mots et en découvrir le sens.
Demandez à ceux et celles qui portent ces chansons, ils vous diront qu’ils chantent depuis toujours, même dans les jardins de leurs silences.
Ils chantent comme on respire, pour le plaisir, chanter pour l’urgence, pour le besoin de se dire.
Car il y a le pouvoir de la musique et le pouvoir des mots; des mots pour les saisons, pour l’intelligence du cœur. Des mots pour s’entendre dans sa propre langue. Des mots pour éveiller la mémoire.
Les chansons voyagent beaucoup plus loin que l’on croit. Sitôt composées, murmurées, elles prennent la route et ce sera le temps et les gens qui décideront du chemin qu’elles suivront.
Je vous apporterai des chansons qui commencent leur voyage et d’autres qui ont déjà beaucoup voyagé. J’espère qu’elles pourront faire un autre bout de chemin en votre compagnie,
Richard Séguin
«L’homme qui chante»
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=nTYeMthV8CA]
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Source : http://www.spec.qc.ca/blogue/lettre-aux-spectateurs/lettre-aux-spectateurs-de-richard-seguin/
Tabouère ! Quelle soirée ce fut mes amiEs!
En première partie du grand rapaillement, on retrouvait Patrice Michaud. Il était accompagné du guitariste André Lavergne. À eux seuls (une armée de deux) ils ont su remplir l’espace sonore du théâtre Maisonneuve d’émotions et d’humour. Il faut souligner au passage les talents de conteur de Michaud (la désopilante et électrique (!) guitare rouge…)
Pour ceux que ça intéresse, une pièce de Michaud est offerte en téléchargement gratuit cette semaine. Il s’agit de l’excellente On fait comme si. «Ton coeur échappé au fond de mon char…»
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Les douze hommes rapaillés ont donné une séance de rapaillement mémorable : la musique y était; les émotions ornaient les commissures de chacune des notes; les douze voyageaient somptueusement propulsés par une section rythmique qui leur assuraient le confort d’un vieux char de luxe (genre Cadillac «pimpé».)
Chacun des interprètes a été extraordinaire. Je dois toute fois mentionner quelques moments que j’ai trouvé particulièrement fort.
Des frissons m’ont traversé chaque fois où le compositeur de la maudite machine a pris le micro. Pierre Flynn chantait avec une telle vulnérabilité qu’on aurait dit qu’il marchait sur des coquilles d’oeufs vides sans que celles-ci ne cassent. Son interprétation imposait en noblesse.
Richard Séguin, à la fin de Pour retrouver le monde et l’amour a chanté une note qui semblait provenir du fond de l’univers : la note était si intense qu’on aurait dit d’elle qu’elle était apparu en même temps que le big band. (Le poil dressé partout, même dans la barbe!)
Le Charbonnier de l’Enfer, Michel Faubert, semblait un peu nerveux. Sa sensibilité éclairait et éclatait dans toutes les syllabes…
Le temps s’est arrêté quand Louis-Jean Cormier (réalisateur des deux opus, musicien, la voix de Karkwa) a donnée le coup de grâce en interprétant l’incommensurable au long de tes hanches. Il l’a interprété en toute modestie, seul face à la foule.
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Pendant tout le concert des douze, Louis-Jean dirigeait le band avec un plaisir évident et contagieux. Son visage était fendu d’un sourire qui partait d’une oreille à l’autre. Du plaisir ! du plaisir. Pour moi, il incarnait ce que Nadia Boulanger définit comme une bonne interprétation.
Il y a presque deux ans sortait un album qui était, en quelques sorte, un hommage musical à la poésie de Gaston Miron. Aujourd’hui, les hommes rapaillés récidivent et nous offrent une relecture musicale des mots et maux de Miron.
Le premier opus s’est instantanément frayé un chemin au sommet de mes disques préférés. Les mots y sont boulversants et humains d’une fraîcheur aïgue.
Voici les interprètes qui livrent la marchandise …:
(Plume Latraverse nous livrait une version sentie de Désemparé sur le premier album.)
Voici un extrait signé Yann Perreau lors d’un passage de la bête de scène à Belle & Bum
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=snMblLLJcy4]
Voici maintenant un entretien avec les différents interprètes
Tout aussi poignant et réussi que le premier, le deuxième chapitre du projet Douze Hommes rapaillés redonne vie à la poésie de Gaston Miron à travers les voix de douze chanteurs d’ici. Plongeant au coeur des écrits de l’auteur, Voir s’est inspiré des poèmes mis en musique par le compositeur Gilles Bélanger pour poser une question à chaque homme rapaillé.
La Corneille
Interprète: Michel Faubert
Corneille, ma noire
Tu me fais prendre la femme que j’aime
Du même croassement rauque et souverain
Dans l’immémoriale et la réciproque
Secousse de nos corps
Dans les contes, les corneilles et les corbeaux symbolisent la mort. Pour l’auteur de L’Homme rapaillé, ici, l’oiseau noir évoque aussi un désir brûlant, inéluctable. À laquelle de ces deux fatalités pensiez-vous en enregistrant la chanson?
« Au Québec, beaucoup des contes transmis de génération en génération viennent de France, où l’imaginaire et le symbolisme ne sont pas les mêmes qu’ici. Pour les Français, les corneilles et les corbeaux sont associés à la mort, alors qu’au Québec, la corneille annonce l’arrivée du printemps, avec toute la montée du désir que ça comporte, ce qu’évoque ici Miron. Dans la région de Lanaudière, l’expression « la tempête des corneilles » désigne la dernière tempête de neige de l’année. C’est un peu la même chose avec l’imaginaire autour du loup. Dans les contes, on parle toujours du grand méchant loup, mais ici, les loups ont de l’espace, des montagnes, des forêts et des champs à explorer. Puisqu’il le voit moins souvent, le Québécois n’a pas vraiment peur du loup. »
Ma rose éternité
Interprète: Pierre Flynn
Comme aujourd’hui quand me quitte cette fille
Chaque fois j’ai saigné dur à n’en pas tarir
Par les sources et les noeuds qui m’enchevêtrent
Je ne suis plus qu’un homme descendu à sa boue
Magnifique Poème de séparation 1. Est-ce que, sans le vouloir, un interprète se remémore inévitablement de lourds chagrins d’amour personnels lorsque vient le temps de mordre dans la souffrance de tels écrits?
« Pas dans le cas qui nous concerne, et je ne crois pas que ce soit nécessaire. L’auteur a écrit dans le vif d’une séparation soudaine et dévastatrice. On est déjà transporté par le grand souffle de Miron, et Gilles Bélanger a bien compris ce côté haletant, éperdu, abandonné. Le parcours est déjà tracé. On s’accroche et on fonce en laissant agir les mots et la musique. Parfois quand je chante, les images envahissent ma tête. Mais souvent, c’est quelque chose de physique, de musculaire. La chanson vit dans notre corps et sa vibration aussi. Pour le meilleur ou le pire, notre vie est notre voix. »
Retour à nulle part
Interprète: Yves Lambert
Ça ne pourra pas toujours ne pas arriver
Nous entrerons là où nous sommes déjà
Ça ne pourra pas car il n’est pas question
De laisser tomber notre espérance
Gaston Miron a écrit Retour à nulle part après la première défaite référendaire de 1980. Votre interprétation a capella a tout d’un chant patriotique. Quel message l’homme doit-il en retenir?
« Chanter cette chanson trente ans plus tard revêt pour moi, dans l’air du temps présent, une occasion de réaffirmer mes convictions politiques sur l’avenir du Québec que j’aime avec passion. Les deux négations du refrain ont pour but d’exprimer une affirmation positive et rappellent l’importance de l’autodétermination. Quand j’observe la mollesse de nos politiciens devant le totalitarisme industriel, il me paraît évident que de donner nos territoires sans retombées économiques valables soit une entrave au développement social, culturel et environnemental. En prenant pour acquis que l’addition de deux négatifs nous donne un positif, les chances sont bonnes pour le prochain référendum! »
Sentant la glaise
Interprète: Jim Corcoran
Sentant la glaise le sanglot
J’ai aussi, que j’ai
La vie comme black-out
Sommeil blanc
Dans cet extrait de Six Courtepointes, Gaston Miron utilise pour une rare fois un terme anglophone. Vous qui présentez la culture québécoise au reste du Canada par le biais de votre émission de radio À Propos diffusée sur les ondes de la CBC, comment introduisez-vous Miron à nos compatriotes anglophones?
« Je ne me gêne pas pour dire au public anglophone à quel point Gaston Miron était un indépendantiste farouche et un ardent militant pour l’identité culturelle québécoise. Impossible de le passer sous silence, c’est l’une des définitions de Miron. Contrairement à bien des auteurs que je présente, je ne traduis pas les écrits de Miron à la radio. Je les récite en français parce que je ne comprends pas tout Miron. Ce qui est très bien ainsi. Les choses trop faciles à consommer, trop rapidement comestibles, ont une date d’expiration. »
Oh secourez-moi!
Interprète: Michel Rivard
Comme on fait pour les noyés de l’eau noire
Qui passent sous le pont du bout de l’île
Dans le charroi morne des glaces
et des soleils moirés
Secourez-moi
Peut-être un peu naïvement, ce passage nous a rappelé L’Oubli, cette pièce que vous avez écrite sur Claude Jutra. Quel lien voyez-vous entre Secourez-moi et les dernières années de la vie du cinéaste qui a préféré le suicide à l’alzheimer?
« Le seul lien que je puisse voir en est un de synchronicité, et j’avoue bien humblement qu’il m’a échappé jusqu’à ce que vous me posiez la question. Les images qui déferlent en moi à la lecture ou à l’interprétation des textes de Miron sont à l’extrême opposé de l’anecdotique. C’est pour moi une poésie de l’essentiel insaisissable, de la précision dans l’intangible… Chaque fois que je chante Secourez-moi, je suis littéralement transporté par la musique des mots et tout ce qu’ils véhiculent de possibilités humaines. »
Au long de tes hanches
Interprète: Louis-Jean Cormier
Si j’étais mort avant de te connaître
Ma vie n’aurait été que fil rompu
Pour la mémoire et pour la trace
Je n’aurais rien su
Sur cet extrait très personnel de L’Amour et le Militant, vos arrangements se veulent dépouillés et vaporeux, échafaudés à partir de chants planants et de bruits de vent. Est-ce les textes de Miron qui dictent ici vos enrobages ou les interprètes choisis?
« Pour moi, ce qui dicte l’arrangement des chansons, c’est tout d’abord le mariage entre le texte de Miron et la musique de Bélanger, ce qui ressort de la version guitare-voix, ce que je ressens. Après avoir remanié la forme, cherché à trouver la structure la plus cohérente, je vois souvent le tableau final. Je peux aussi penser à l’interprète qui la chantera et influencer la direction vers son habitat naturel, mais j’essaie surtout d’avoir un ensemble de 12 chansons homogènes. Il arrive aussi qu’il y ait des flashs comme dans Au long de tes hanches où j’ai eu le goût de chanter sur la terrasse du studio et de capter le bruit de l’autoroute pour rappeler celui de la mer. Méchant contraste, méchant contrat. »
Compagnon des Amériques
Interprète: Richard Séguin
Dans la liberté criée de débris d’embâcle
Compagnons des Amériques
Nos feux de position s’allument vers le large
L’aïeule prière à nos doigts défaillante
La pauvreté luisant comme des fers à nos chevilles
Autant porteuse d’espérance et de liberté que d’injustice et d’asservissement, l’Amérique fascine. Y a-t-il un lien entre l’Amérique ici évoquée par Miron et celle à laquelle vous faites référence dans Journée d’Amérique?
« Nous sommes les héritiers de toute une génération de poètes qui ont provoqué la grande transformation sociale du Québec. Moi et Marc Chabot (coauteur de la chanson Journée d’Amérique) voulions nous approprier notre propre vision de l’autre Amérique. Une journée comme le prolongement d’une vie en terre du Québec. La vie d’un homme qui porte ses rêves, son histoire et ses combats dans la poitrine. Terminer la chanson avec « Vingt-quatre heures de combat » faisait ainsi écho à l’éveil de notre condition sociale. Ce Québec d’aujourd’hui, je le vois silencieux, son souffle est court, son sol encaisse les vieilles blessures, ses lois 101 s’effritent dans les tranchées. La parole de Miron est toujours d’actualité, car tout reste à faire et tout appelle à une vigilance par rapport à nos choix de société et conséquemment avec le politique. Les mots de Miron ont encore plus de force aujourd’hui, une force essentielle, celle qui nomme la longue quête individuelle et collective, celle qui donne une conscience de notre existence dans cette partie de l’Amérique. »
Amour sauvage, amour
Interprète: Yann Perreau
Amour, sauvage amour de mon sang dans l’ombre
Mouvant visage du vent dans les broussailles
Femme, il me faut t’aimer femme de mon âge
Comme le temps précieux et blond du sablier
Dans cet extrait de L’Amour et le Militant, l’auteur célèbre un amour sauvage qui perdure malgré l’épreuve du temps et de l’âge. Est-ce que le jeune fougueux et ardent en vous y a vu une utopie?
« Non. L’amour est un défi, et j’aime les défis. La poésie de Gaston Miron me dit qu’il était un passionné, un batailleur, un amoureux, un homme courageux… Un homme intelligent et plein de gros bon sens. Il n’y a rien d’utopique là-dedans. »
Soir tourmente/Le Vieil Ossian
Interprète: Daniel Lavoie
Certains soirs d’hiver, lorsque, dehors,
Comme nouvellement
Il fait nuit dans la neige même
Les maisons voyagent chacune pour soi
Quel lien faites-vous entre Soir tourmente, un texte saisissant sur la mort de l’homme, et Le Vieil Ossian (fortement inspiré du froid hivernal) pour les juxtaposer ainsi?
« À vrai dire, je ne vois pas tellement Soir tourmente comme un poème sur la mort de l’homme autant que sur la conscience d’être, sur la vie en fait. Nous mourons tous, tous les jours à petites lampées. Si j’avais à faire un lien, et j’ai, évidemment, vu la question, je dirais que Le Vieil Ossian vient faire un contrepoids jubilatoire à ce constat bien vrai, mais quand même triste, que la mort nous accompagne tous les jours de notre vie. Le lien, une conscience intense de la vie et de la mort, de la beauté et de la magie qui sont là, dans la matière même de l’univers. »
Nature vivante
Interprète: Gilles Bélanger
En un tourbillon du coeur dans le corps entier
Comme un ciel défaillant tu viens t’allonger
En un tourbillon du coeur dans le corps entier
Mes paumes te portent comme la mer
Cet extrait et bien d’autres démontrent à quel point Gaston Miron a toujours accordé une importance capitale à la musicalité de ses poèmes, au point d’en faire une exigence. Comment avez-vous laissé cette musicalité guider vos compositions pour le projet Douze Hommes rapaillés?
« Gaston Miron était le poète de l’oralité; le recueil de poèmes n’était pas la finalité. Il défendait ses poèmes sur la place publique. Je suppose que, comme il y a eu plusieurs versions de L’Homme rapaillé où il apportait des corrections, c’est sur le terrain qu’il découvrait le mot juste, une faiblesse ou une longueur. Pour moi, les textes de Gaston Miron chantent déjà, de là le bonheur de les mettre en musique. »
Avec toi
Interprète: Martin Léon
Je suis un homme simple avec
Des mots qui peinent
Et je ne sais pas écrire en poète éblouissant
Je suis tué (cent fois je fus tué), un tué rebelle
Vrai que Gaston Miron, homme du peuple, se distingue par une poésie aux mots simples, mais aux images fortes. Est-ce l’ultime but d’un chansonnier, être aussi évocateur et en même temps si simple?
« Idéalement, oui, mais ce n’est pas vraiment la première étape au moment d’écrire. L’essence de la démarche demeure d’abord assez simple: avoir quelque chose à dire, le ressentir vraiment, prendre un crayon, y aller avec son coeur, aimer le résultat, aimer l’offrir. Pour le reste, la force d’évocation et la grandeur d’un texte vont beaucoup selon la sensibilité et le talent de chacun. C’est comme ça. Il y aura toujours plus grand et plus petit que soi. Mieux vaut alors y aller tout simplement avec sincérité et au meilleur de nous-mêmes. C’est un des buts ultimes, ça aussi. »
Le Camarade
Interprète: Vincent Vallières
Tu allais Jean Corbo au rendez-vous de ton geste
Tandis qu’un vent souterrain tonnait et cognait
Pour des années à venir
Dans les entonnoirs de l’espérance
Qui donc démêlera la mort de l’avenir
Le Camarade est un poème sur Jean Corbo, jeune felquiste mort en posant une bombe qui lui explosa entre les mains. Quelle image est la plus marquante, le désir de changer les choses au péril de sa vie ou la triste fin d’un révolutionnaire tué par sa propre révolution?
« Pour moi, Le Camarade est un hommage lucide à un jeune idéaliste maladroit. On ressent dans ce poème une grande conscience de la fatalité. L’image de la triste fin d’un révolutionnaire tué par sa propre révolution suggère un cynisme qui n’existe pas chez Miron. Celle du désir de changer les choses au péril de sa vie glorifie un peu trop le geste de Corbo. Qu’à cela ne tienne, un jeune homme doit être certes désespéré, malheureux, aliéné et exploité pour en arriver à poser un tel geste. En 2010 au Québec, sommes-nous encore prêts à mourir pour des idées? »
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À voir si vous aimez /
La poésie, la chanson, les douze interprètes sélectionnés
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MIRON ET LA MUSIQUE
On savait déjà que la poésie de Gaston Miron et la musique faisaient bon ménage. Ses textes, d’abord, en sont remplis, de musique. Il suffit de les dire à voix haute pour saisir aussitôt la maîtrise rythmique de leur auteur, sa conscience aiguë de la matière sonore.
Et puis sur scène, Miron aimait bien chanter et s’accompagner à la ruine-babines, dont lui plaisaient sans doute les sons à la fois plaintifs et rassembleurs – on trouvera d’ailleurs aisément des vidéos du Magnifique en action en tapant les mots « Gaston Miron chante » dans le moteur de recherche de YouTube.
Vers la fin de sa vie, le poète conjugue comme jamais la musique à la poésie en montant, épaulé des musiciens Bernard Buisson et Pierre St-Jak, le spectacle La Marche à l’amour, qu’ils donneront un peu partout au Québec et dont un disque sera tiré en 1992, lors d’une représentation à La Licorne.
Gaston Miron serait comblé de voir les chemins qu’emprunte aujourd’hui sa poésie, chantée depuis quelques années par Chloé Sainte-Marie, puis maintenant par ces Douze Hommes rapaillés qui non seulement en saisissent toute la portée musicale, mais en préservent aussi l’essence politique et identitaire.
Une notion fondamentale, pour qui veut comprendre pleinement le legs de celui qui disait en 1978, en recevant le prix Duvernay de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal: « Quand je me bats, c’est pour ma différence, c’est-à-dire ma culture au monde. C’est ma version à moi de vivre l’humanité. Et cette version est une contribution et un enrichissement à la culture universelle. » (Tristan Malavoy-Racine)