Patrice Michaud et son alchimie des formes géométrique opère ici dans Le triangle des Bermudes [bandcamp track=2397352831 bgcol=FFFFFF linkcol=4285BB size=venti]
Martin Léon au service du génie de Miron le magnifique, de la musique organique de Gilles Bélanger et des arrangements de Louis-Jean Cormier [youtube=http://www.youtube.com/watch?v=iNNfgmTgmcs]
Gaston Miron
L’art Poétique
J’ai la trentaine à bride abattue dans ma vie
je vous cherche encore pâturages de l’amour
je sens le froid humain de la quarantaine d’années
qui fait glace en dedans, et l’effroi m’agite
je suis malheureux ma mère mais moins que toi
toi mes chairs natales, toi qui d’espérance t’insurges
ma mère au cou penché sur ton chagrin d’haleine
et qui perds gagnes les mailles du temps à tes mains
dans un autre temps mon père est devenu du sol
il s’avance en moi avec le goût du fils et des outils
mon père, ma mère, vous saviez à vous deux
nommer toutes choses sur la terre, père, mère
j’entends votre paix
se poser comme la neige…
Louis-Jean Cormier, comme un seul homme, interprète la grandiose La route que nous suivons [youtube=http://www.youtube.com/watch?v=3Sp-Q8ARaic]
Gaston Miron
La route que nous suivons
À la criée du salut nous voici
armés de désespoir
au nord du monde nous pensions être à l’abri
loin des carnages de peuples
de ces malheurs de partout qui font la chronique
de ces choses ailleurs qui n’arrivent qu’aux autres
incrédules là même de notre perte
et tenant pour une grâce notre condition
soudain contre l’air égratigné de mouches à feu
je fus debout dans le noir du Bouclier
droit à l’écoute comme fil à plomb à la ronde
nous ne serons jamais plus des hommes
si nos yeux se vident de leur mémoire
beau désaccord ma vie qui fonde la controverse
je ne récite plus mes leçons de deux mille ans
je me promène je hèle et je cours
cloche-alerte mêlée au paradis obsessionnel
tous les liserons des désirs fleurissent
dans mon sang tourne-vents
venez tous ceux qui oscillent à l’ancre des soirs
levons nos visages de terre cuite et nos mains
de cuir repoussé burinés d’histoire et de travaux
nous avançons nous avançons le front comme un delta
« Good-bye farewell ! »
nous reviendrons nous aurons à dos le passé
et à force d’avoir pris en haine toutes les servitudes
nous serons devenus des bêtes féroces de l’espoir
MIRON, Gaston, L’Homme rapaillé, Montréal, l’Hexagone, 1994
La corneille
Corneille, ma noire corneille qui me saoules opâque et envoûtante venue pour posséder ta saison et ta déscendance Déjà l’été goûte un soleil de mûres déjà tu conjoins en ton vol la terre et l’espace au plus bas de l’air de même qu’en sa hauteur et dans le profond des champs et des clôtures s’éveille dans ton appel l’intimité prochaine du grand corps brûlant de juillet Corneille, ma noire parmi l’avril friselis* Avec l’alcool des chaleurs nouvelles la peau s’écarquillent et tu me rends bric-à-brac sur mon aire sauvage et fou braque dans tous les coins et recoins de moi-même j’ai mille animaux et plantes par la tête mon sang dans l’air remue comme une haleine Corneille, ma noire jusqu’en ma moelle Tu me fais prendre la femme que j’aime du même trébuchant et même tragique croassement rauque et souverain dans l’immémoriale et la réciproque secousse de nos corps** Corneille, ma noire– – – – –
* lors de mes premières écoutes de cette pièce sur l’album Les Douze Hommes Rapaillés vol. 2 , chaque fois que j’entendais « parmi l’avril friselis », je croyais comprendre « parmi l’homme, ils frisent unis » Inutile de dire que je ne la comprenais vraiment pas (!) Ha, ha, ha !
** secousse de nos corps dans la chanson ; secousse des corps dans le texte
© Gaston Miron, L’homme Rapaillé, Montréal, Typo, 1996
La corneille n’étant pas encore disponible sur youtube, je vous propose ici Soir tourmente/le vieil Ossian chanté par Daniel Lavoie. [youtube=http://www.youtube.com/watch?v=Vpf3n4UlClA]
Tes yeux retiennent de vascillantes douceurs.
Gaston Miron dans Poèmes épars
Il y a 13 ans maintenant s’éteignait un grand poète québécois : Gaston Miron.
Son recueil de poème le plus connu est l’homme rapaillé. Récemment, en 2003, un recueil du nom de poèmes épars a vu le jour.
En novembre 2008 paraissait 12 hommes rapaillés un album de poèmes de Miron mis en musique par Gilles Bélanger et réalisé par Louis-Jean Cormier. C’est un album riche à découvrir.
Voici quelques extraits tirés de l’homme rapaillé :
la marche à l’amour
je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi
lentement je m’affale de tout mon long dans l’âme
je marche à toi, je titube à toi, je bois
à la gourde vide du sens de la vie
à ces pas semés dans les rues sans nord ni sud
à ces taloches de vent sans queue et sans tête
je n’ai plus de visage pour l’amour
je n’ai plus de visage pour rien de rien
parfois je m’assois par pitié de moi
j’ouvre les bras à la croix des sommeils
mon corps est un dernier réseaux de tics amoureux
avec à mes doigts les ficelles des souvenirs perdus
je n’attends pas à demain je t’attends
je n’attends pas la fin du monde je t’attends
dégagé de la fausse auréole de ma vie
Je t’écris
Je t’écris pour te dire que je t’aime
que mon cœur qui voyage tous les jours
– le cœur parti dans la dernière neige
le cœur parti dans les yeux qui passent
le cœur parti dans le ciel d’hypnose –
revient le soir comme une bête atteinte
Qu’es-tu devenu toi comme hier
moi j’ai noir éclaté dans la tête
j’ai froid dans la main
j’ai l’ennui comme un disque rengaine
sans ta vague à mon corps
sans ta voix de mousse humide
c’est ma vie que j’ai mal en ton absence
Le temps saigne
quand donc aurai-je de tes nouvelles
je t’écris pour te dire que je t’aime
que tout finira dans tes bras amarré
que je t’attends dans la saison de nous deux
qu’un jour mon cœur s’est perdu dans sa peine
que sans toi il ne reviendra plus
La route que nous suivons
À la criée du salut nous voici
armés de désespoir
Au nord du monde nous pensions être à l’abri
loin des carnages de peuples
de ces malheurs de partout qui font la chronique
de ces choses ailleurs qui n’arrivent qu’aux autres
incrédules là même de notre perte
et tenant pour une grâce notre condition
soudain contre l’air égratigné de mouches à feu
je fus debout dans le noir du Bouclier
droit à l’écoute comme fil à plomb à la ronde
nous ne serons jamais plus des homme
si nos yeux se vident de leur mémoire
beau désaccord ma vie qui fonde la controverse
je ne récite plus mes leçons de deux mille ans
je me promène je hèle et je cours
cloche-alerte mêlée au paradis obsessionnel
tous les liserons des désirs fleurissent
dans mon sang tourne-vents
venez tous ceux qui oscillent à l’encre des soirs
levons nos visages de terre cuite et nos mains
de cuir repoussé burinés d’histoire et de travaux
nous avançons nous avançons le front comme un delta
«Good-bye farewell !»
nous reviendrons nous aurons à dos le passé
à force d’avoir pris en haine toutes les servitudes
nous serons devenus des bêtes féroces de l’espoir