Il y a 65 ans aujourd’hui naissait Michel Latraverse mieux connu sous le nom de Plume Latraverse.
Plume est un personnage mythique dans l’espace musical Québécois. Il incarne à mes yeux un délicieux mélange de poésie viscérale, brute et profondément humaine. Le tout sous une carapace de rocker hirsute.
Ses textes touchent entre autres à la vie urbaine, au désespoir, à la folie et à la bêtise humaine.
Un des joyaux que plume et son complice dans le vice Cassonade (Steven Faulkner) nous ont laissé pour la postérité et l’album Pommes de route.
Voici quelques pièces que j’affectionne particulièrement triées sur le volet :
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=RZu1fLlagGE]
FAUX DUR ET TROUBLE-FETE…..
Nous étions là, quelques joyeux amis
À avoir soif, un beau soir à Paris
Le bar fermait mais à force de grimaces
Nous eûmes droit à un verre sur la terrasse
Nous n’étions pas aussitôt installés
Au bruit des chaises et des tables collées
Que deux intrus, en mal d’amour
Se mirent en frais de nous tourner autour
Les discussions plus ou moins évasives
Compte tenu de cette heure tardive
Se virent agressées, sens dessus dessous
Par nos deux trouble-fête, en mal de coups
Et puis soudain, d’un geste un peu trop long
L’un d’eux mouille, de sa bière, mon pantalon
J’me lève, mû par un instinct batailleur
Tout prêt à y arracher l’coeur
Mais dans un dernier sursaut salutaire
Qui s’immisce entre la paix et la guerre
Je me retins de lui sauter dans’ face
Pour calmement me rasseoir à ma place
Y’a quelques années, sans aucun doute
En vrai rocker, les nerfs au boutte
Je l’aurais soulevé par les dents
Pour le grafigner su’l ciment
Dites qu’j’t’un faux dur ou qu’j’ramollis
Ou qu’j’ai eu peur devant mes amis
Que j’garde mes doigts pour ma guitare
Qu’ils se casseraient sur une mâchoire
Moi j’pense jusse que ça valait pas la peine
De gâcher toute ma fin d’semaine
À cause d’une simple gorgée d’bière
Qui s’rait tombée un peu d’travers
Et le lendemain, lorsque j’ai pris l’avion
La tête toute pleine de papillons
Pour revenir tout fatigué
Dans mon pays aux mille clochers
Entre les pleurs des petits enfants
Et les p’tits vieux intransigeants
J’me disais : Pourquoi m’énerver ?
C’est rien qu’un bande dessinée
Qu’c’est déjà assez dur de naître
De trembler pis de disparaître
Qu’vaut mieux s’en sortir de bon ton
En faisant une belle chanson
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=EXnz2H62j-Q]
La Ballade Des Caisses De 24
Errer de taverne en taverne à la recherche d’une bouée
Les yeux noyés dans l’fond des cernes comme des yeux
d’zombie marinés
Dériver d’bières vides en bières pleines dans le matin ensoleillé
se sentir gonfler la bédaine
Comme un montgolfière essoufflé pogné aux portes de l’Éden
a’ec une maudite envie d’pisser…sa peine
Errer de taverne en taverne comme un chien perdu sans collier
De quarantaine en baliverne avec les épaves ballottées
Couler dans la brume qui te cerne comme un vieux pirate
attaché à la patte d’une chaise de taverne
Avec la jambe de bois encré dans la vase des amour passés
Je meurs de soif auprès de la fontaine…
Errer de taverne en taverne Incognito le coeur léger
Laisser flotté les idées ternes Quel beau feeling de liberté!!
Crisser la job là, Crisser la bonnefemme « dehors siboire »
tout nu dans rue, vendu toutes mon ménage pour boire
Là j’sort le soir, l’amour me hante, la nuit m’enchante,
chu libre comme l’air, j’prend une tite bière, j’sort sul trottoir
les oiseaux chantent …
Errer de taverne en taverne avec les joyeux naufragés
Errer de taverne en taverne pour s’donner l’impression d’bouger !!
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=T5B5YHNR6vw]
MA PORTE DE SHED
A me dit qu’à m’aime pis à me fait des coups bas
A me fait des couvertes en poils de gars
A me fait un pompier pour déjeuner
Avec des toasts pis du café
J’aurais donc dû rester avec mes chums de la brasserie Cherrier
A boire ma bière avec Roger
Au lieu d’être là à me demander qu’essé qu’à fait, oussé qu’elle est
Calée dans mes bibittes à moé qu’à l’était belle
Mamamoiselle, je vous aime beaucoup
J’ai mes bretelles qui tiennent à vous
Moins chus gêné plus que chus saoul
Plus chus paqueté plus chus comme vous
J’aurais donc dû rester avec mes chums de la brasserie Cherrier
A boire ma bière avec Roger
Au lieu d’être là à me demander qu’essé qu’à fait, oussé qu’elle est
Calée dans mes bibittes à moé qu’à l’était laide
Ma porte de shed, je chante ben mieux que vous
Est ben moins raide que vos deux genoux
Votre chape de laine autour du cou
A me donne mal à l’aine, me mettre à bout
J’aurais donc dû rester avec mes chums de la brasserie Cherrier
A boire ma bière avec Roger
Au lieu d’être là à me demander qu’essé qu’à fait, oussé qu’elle est
Calée dans mes bibittes à moé calé dondaine, à me dit qu’à m’aime
tiré de son site : http://www.phaneuf.ca/plume/encyclo.html
LES DROITS DES NON-PLUMEURS : UNE RÉALITÉ PAS UN CAPRICE
Les non-plumeurs en ont « ras-le-nez ». Ils ne veulent plus endurer la plumerie des autres. Ils protestent de plus en plus souvent lorsqu’un voisin s’apprête à griller un disque de Plume. Ils ne veulent pas de tapage dans les lieux publics et demandent qu’on en limite l’usage à des endroits ou compartiments réservés.
Pourquoi ce mouvement? S’agit-il d’un réveil des non-plumeurs ou d’un caprice, d’une mode, d’une passade
Allons-y voir. Et entendons pour une fois leurs arguments. Des arguments, entre parenthèses, fort solides.
LE NON-PLUMEUR « PLUME » AUTANT QUE LE PLUMEUR
Des expériences ont démontré que la musique de Plume a des effets aussi nocifs sur le non-plumeur que sur le plumeur.
Prenez par exemple la question de la musique dite « latérale », celle qui se dégage par le son de la radio qui hurle et qui n’est pas écoutée par le plumeur. Eh bien! Sachez que les disques dégagent six fois plus de musique latérale que la chanson inspirée et rejetée par le plumeur.
Or, cette musique latérale contient deux fois plus de jurons et de plumatine que la musique du plumeur; quatre fois plus de cadmium, ce qui peut causer l’emphysème; trois fois plus de benzopyrène, ce qui peut causer le cancer; cinq fois plus d’oxyde de carbone, lequel se fixe plus facilement que l’oxygène sur les globules rouges du sang; cinquante fois plus de gaz ammoniacaux qui sont des irritants respiratoires.
L’urine de non-plumeurs « enfermés » dans une atmosphère emplumée contient, au bout d’une heure, autant de produits de dégradation du caca que s’ils avaient plumé trois chansons. Le pouls, la tension artérielle et la tenue en plumatine du sang d’un non-plumeur augmentent lorsqu’il reste trente minutes dans une pièce emplumée.
La musique de Plume irrite les yeux. Elle peut provoquer une conjonctivite qui se manifeste par une irritation oculaire, le larmoiement, une vision embrouillée.
Les substances irritantes contenues dans la musique de Plume s’attaquent à la muqueuse du nez et du pharynx; d’où le risque de l’apparition d’une pluminite et d’une rhinite.
La musique de Plume, en raison de ses nombreuses constituantes irritantes, est sans contredit un facteur d’aggravation et un facteur déclenchant des crises aiguës de dyspnée (difficulté de la respiration) chez les asthmatiques. Elle peut aussi déclencher une crise chez les cardiaques et augmenter les symptômes ressentis par les emphysémateux. Ces personnes ont donc le droit d’exiger que l’on ne plume pas en leur présence.
LES FEMMES ENCEINTES QUI FONT PLUMER LEUR BÉBÉ
Nous parlons des dangers encourus par le non-plumeur « enfermé » dans la même pièce qu’un plumeur. Que dire du bébé enfermé dans le ventre d’une mère qui plume?
En fait, l’écoute de Plume par la femme enceinte expliquerait le décès d’environ 120 bébés québécois chaque année, soit dans l’utérus, soit à leur naissance. Ce risque de perdre son enfant augmente de façon significative si la mère continue de plumer après le quatrième mois de gestation.
Autre constatation : quand ils ne meurent pas, les bébés des plumeuses ont en moyenne à la naissance un poids d’autant plus bas que le nombre de chansons écoutées par jour pendant la grossesse est plus élevé.
Une femme enceinte qui continue de plumer intoxique l’enfant qu’elle porte. En plumant, elle l’oblige, en quelque sorte, à plumer aussi?#160;: les composés des textes, en particulier la plumatine et l’oxyde de carbone, passent dans le sang maternel, franchissent la barrière placentaire et atteignent l’organisme de l’enfant.
À chaque chanson, le cœur du fœtus bat plus vite, pendant 20 minutes environ. Les mouvements respiratoires du fœtus sont, par contre, réduits du tiers. La nutrition est également perturbée. Le système nerveux de l’enfant est susceptible de moins bien se développer.
Si la mère plume après la naissance, son lait contient de la plumatine. Il n’est pas surprenant que les bébés soient plus irritables, aient plus de coliques et d’insomnies si on considère les effets de la plumatine sur le système nerveux central et sur le tube digestif. En outre, les cas de pneumonies et de bronchites au cours de la première année d’existence sont plus nombreux chez les bébés dont les parents plument.
LE PLUMEUR AU VOLANT : UN DANGER DE LA ROUTE
La musique de Plume constitue un danger sur la route : parce que le plumeur qui l’écoute peut commettre des fautes d’inattention et parce que le conducteur « emplumé » finit par ressentir de la fatigue, une envie de dormir, des maux de tête.
Est-il possible, en effet, de sortir un disque de Plume, de l’écouter, d’ouvrir le tourne disque sans quitter la route des yeux tout en gardant les mains libres pour toute manœuvre d’urgence à effectuer?
D’autre part, l’habitacle d’un véhicule contient un volume d’air restreint. L’oxyde de carbone dégagé par la musique de Plume s’ajoutant au gaz carbonique de la respiration, atteint rapidement un taux de concentration élevé. Passant dans le sang, il réduit l’oxygénation du cerveau et engendre un état proche de l’ivresse, manifesté par les symptômes suivants : fatigue, somnolence, maux de tête. Il y a alors diminution de l’attention et de la concentration du conducteur, ralentissement de ses réflexes.
La plumatine aggrave cette fatigue par l’élévation du rythme cardiaque et de la tension artérielle qu’elle provoque. Le conducteur ressent enfin une plus grande fatigue visuelle, particulièrement en conduite nocturne, ce qui se manifeste par une baisse de l’acuité et par une moindre résistance à l’éblouissement.
FAIT SOCIAL OU FLÉAU SOCIAL?
La musique de Plume, considérée comme un fait social pendant longtemps, apparaît maintenant comme un fléau social non seulement pour les plumeurs mais aussi pour les non-plumeurs. C’est pour lutter contre ce fléau qu’ils subissent et dont ils sont les victimes que les non-plumeurs revendiquent leurs droits.
Ils demandent le respect des règlements interdisant l’usage de Plume, par exemple dans les autobus et les trains. Ils demandent qu’on élargisse la portée de ces règlements de façon à interdire l’usage de Plume dans tous les transports et endroits publics.
Les non-plumeurs ont choisi, eux, la santé mentale. Ils y ont droit et ont décidé de s’opposer à l’agression probablement involontaire mais quand même certaine des plumeurs. Où se trouve le bien commun? Qui est le plus agressif? Le non-plumeur qui demande qu’on s’abstienne de plumer en sa présence ou le plumeur qui pollue la tête des Autres?
Dr. Sylvano Tremblay, Ph.D., L.L., C.C.M.
directeur des recherches en plumatologie
à l’université de Rogerville.
«L’accent, c’est pas dans la gorge des uns, c’est dans l’oreille des autres !»
«Tout bon exilé pense que ce qui vient d’ailleurs est toujours meilleur.»
«La poésie, puisée en elle-même, n’est rien d’autre qu’un moyen d’expression et de désenvoûtement de la réalité.»
«On passe notre temps à chercher ce qui nous manque, sans vraiment savoir ce que c’est…»
«Pourquoi faut-il que la seule chose qui soit de meilleur en nous s’effrite avec le temps ?» Extraits de Contes gouttes ou le pays d’un reflet
«La vie c’est une maudite farce, La vie c’est une maudite garce Qui’é là pis qui t’agace À n’importe quelle heure.» tiré de Vie d’ange
Le Chemin des Hommes Nouveaux
Comme voyageur en détresse
Qui ne connaît plus son adresse
Cherche un partage à tous ses maux
Fait un nuage de tous ses flots…
Elle est si simple et difficile
La route qui s’en va vers l’amour
Elle veut redécouvrir une île
Que l’on n’aperçoit pas toujours
Dans cet océan de vitesse
On n’entend plus les S.O.S.
Le capitaine et ses mat’lots
Sont naufragés sur le bateau…
Elle est implacable et tranquille
La route qui s’en va vers la mort
Tout l’équipage y fait la file
En attendant d’quitter le Port
Laissant la gloire et la richesse
Et n’apportant que c’qui en reste
Pour un voyage sans fardeau
Sur le chemin des animaux…
Elle est capricieuse et sensible
La route qui nous rejoint au bout
Dans ce p’tit coin trouble et paisible
Qui se cache en chacun de nous
Plus loin que bonheur et tristesse
Au rang des dieux et des déesses
Dans la communion des berceaux
Au paradis des grands oiseaux…
Elle est étrangère et intime
La route où nous marchons debout
Dans la froideur de nos abîmes
Le front tourné droit dedans nous
Hors de ce monde sans souplesse
Vers d’autres vies pleines de promesses
Débarrassés de tout ego
Sur le chemin des hommes nouveaux…»
Il y a presque deux ans sortait un album qui était, en quelques sorte, un hommage musical à la poésie de Gaston Miron. Aujourd’hui, les hommes rapaillés récidivent et nous offrent une relecture musicale des mots et maux de Miron.
Le premier opus s’est instantanément frayé un chemin au sommet de mes disques préférés. Les mots y sont boulversants et humains d’une fraîcheur aïgue.
Voici les interprètes qui livrent la marchandise …:
(Plume Latraverse nous livrait une version sentie de Désemparé sur le premier album.)
Voici un extrait signé Yann Perreau lors d’un passage de la bête de scène à Belle & Bum
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=snMblLLJcy4]
Voici maintenant un entretien avec les différents interprètes
Tout aussi poignant et réussi que le premier, le deuxième chapitre du projet Douze Hommes rapaillés redonne vie à la poésie de Gaston Miron à travers les voix de douze chanteurs d’ici. Plongeant au coeur des écrits de l’auteur, Voir s’est inspiré des poèmes mis en musique par le compositeur Gilles Bélanger pour poser une question à chaque homme rapaillé.
La Corneille
Interprète: Michel Faubert
Corneille, ma noire
Tu me fais prendre la femme que j’aime
Du même croassement rauque et souverain
Dans l’immémoriale et la réciproque
Secousse de nos corps
Dans les contes, les corneilles et les corbeaux symbolisent la mort. Pour l’auteur de L’Homme rapaillé, ici, l’oiseau noir évoque aussi un désir brûlant, inéluctable. À laquelle de ces deux fatalités pensiez-vous en enregistrant la chanson?
« Au Québec, beaucoup des contes transmis de génération en génération viennent de France, où l’imaginaire et le symbolisme ne sont pas les mêmes qu’ici. Pour les Français, les corneilles et les corbeaux sont associés à la mort, alors qu’au Québec, la corneille annonce l’arrivée du printemps, avec toute la montée du désir que ça comporte, ce qu’évoque ici Miron. Dans la région de Lanaudière, l’expression « la tempête des corneilles » désigne la dernière tempête de neige de l’année. C’est un peu la même chose avec l’imaginaire autour du loup. Dans les contes, on parle toujours du grand méchant loup, mais ici, les loups ont de l’espace, des montagnes, des forêts et des champs à explorer. Puisqu’il le voit moins souvent, le Québécois n’a pas vraiment peur du loup. »
Ma rose éternité
Interprète: Pierre Flynn
Comme aujourd’hui quand me quitte cette fille
Chaque fois j’ai saigné dur à n’en pas tarir
Par les sources et les noeuds qui m’enchevêtrent
Je ne suis plus qu’un homme descendu à sa boue
Magnifique Poème de séparation 1. Est-ce que, sans le vouloir, un interprète se remémore inévitablement de lourds chagrins d’amour personnels lorsque vient le temps de mordre dans la souffrance de tels écrits?
« Pas dans le cas qui nous concerne, et je ne crois pas que ce soit nécessaire. L’auteur a écrit dans le vif d’une séparation soudaine et dévastatrice. On est déjà transporté par le grand souffle de Miron, et Gilles Bélanger a bien compris ce côté haletant, éperdu, abandonné. Le parcours est déjà tracé. On s’accroche et on fonce en laissant agir les mots et la musique. Parfois quand je chante, les images envahissent ma tête. Mais souvent, c’est quelque chose de physique, de musculaire. La chanson vit dans notre corps et sa vibration aussi. Pour le meilleur ou le pire, notre vie est notre voix. »
Retour à nulle part
Interprète: Yves Lambert
Ça ne pourra pas toujours ne pas arriver
Nous entrerons là où nous sommes déjà
Ça ne pourra pas car il n’est pas question
De laisser tomber notre espérance
Gaston Miron a écrit Retour à nulle part après la première défaite référendaire de 1980. Votre interprétation a capella a tout d’un chant patriotique. Quel message l’homme doit-il en retenir?
« Chanter cette chanson trente ans plus tard revêt pour moi, dans l’air du temps présent, une occasion de réaffirmer mes convictions politiques sur l’avenir du Québec que j’aime avec passion. Les deux négations du refrain ont pour but d’exprimer une affirmation positive et rappellent l’importance de l’autodétermination. Quand j’observe la mollesse de nos politiciens devant le totalitarisme industriel, il me paraît évident que de donner nos territoires sans retombées économiques valables soit une entrave au développement social, culturel et environnemental. En prenant pour acquis que l’addition de deux négatifs nous donne un positif, les chances sont bonnes pour le prochain référendum! »
Sentant la glaise
Interprète: Jim Corcoran
Sentant la glaise le sanglot
J’ai aussi, que j’ai
La vie comme black-out
Sommeil blanc
Dans cet extrait de Six Courtepointes, Gaston Miron utilise pour une rare fois un terme anglophone. Vous qui présentez la culture québécoise au reste du Canada par le biais de votre émission de radio À Propos diffusée sur les ondes de la CBC, comment introduisez-vous Miron à nos compatriotes anglophones?
« Je ne me gêne pas pour dire au public anglophone à quel point Gaston Miron était un indépendantiste farouche et un ardent militant pour l’identité culturelle québécoise. Impossible de le passer sous silence, c’est l’une des définitions de Miron. Contrairement à bien des auteurs que je présente, je ne traduis pas les écrits de Miron à la radio. Je les récite en français parce que je ne comprends pas tout Miron. Ce qui est très bien ainsi. Les choses trop faciles à consommer, trop rapidement comestibles, ont une date d’expiration. »
Oh secourez-moi!
Interprète: Michel Rivard
Comme on fait pour les noyés de l’eau noire
Qui passent sous le pont du bout de l’île
Dans le charroi morne des glaces
et des soleils moirés
Secourez-moi
Peut-être un peu naïvement, ce passage nous a rappelé L’Oubli, cette pièce que vous avez écrite sur Claude Jutra. Quel lien voyez-vous entre Secourez-moi et les dernières années de la vie du cinéaste qui a préféré le suicide à l’alzheimer?
« Le seul lien que je puisse voir en est un de synchronicité, et j’avoue bien humblement qu’il m’a échappé jusqu’à ce que vous me posiez la question. Les images qui déferlent en moi à la lecture ou à l’interprétation des textes de Miron sont à l’extrême opposé de l’anecdotique. C’est pour moi une poésie de l’essentiel insaisissable, de la précision dans l’intangible… Chaque fois que je chante Secourez-moi, je suis littéralement transporté par la musique des mots et tout ce qu’ils véhiculent de possibilités humaines. »
Au long de tes hanches
Interprète: Louis-Jean Cormier
Si j’étais mort avant de te connaître
Ma vie n’aurait été que fil rompu
Pour la mémoire et pour la trace
Je n’aurais rien su
Sur cet extrait très personnel de L’Amour et le Militant, vos arrangements se veulent dépouillés et vaporeux, échafaudés à partir de chants planants et de bruits de vent. Est-ce les textes de Miron qui dictent ici vos enrobages ou les interprètes choisis?
« Pour moi, ce qui dicte l’arrangement des chansons, c’est tout d’abord le mariage entre le texte de Miron et la musique de Bélanger, ce qui ressort de la version guitare-voix, ce que je ressens. Après avoir remanié la forme, cherché à trouver la structure la plus cohérente, je vois souvent le tableau final. Je peux aussi penser à l’interprète qui la chantera et influencer la direction vers son habitat naturel, mais j’essaie surtout d’avoir un ensemble de 12 chansons homogènes. Il arrive aussi qu’il y ait des flashs comme dans Au long de tes hanches où j’ai eu le goût de chanter sur la terrasse du studio et de capter le bruit de l’autoroute pour rappeler celui de la mer. Méchant contraste, méchant contrat. »
Compagnon des Amériques
Interprète: Richard Séguin
Dans la liberté criée de débris d’embâcle
Compagnons des Amériques
Nos feux de position s’allument vers le large
L’aïeule prière à nos doigts défaillante
La pauvreté luisant comme des fers à nos chevilles
Autant porteuse d’espérance et de liberté que d’injustice et d’asservissement, l’Amérique fascine. Y a-t-il un lien entre l’Amérique ici évoquée par Miron et celle à laquelle vous faites référence dans Journée d’Amérique?
« Nous sommes les héritiers de toute une génération de poètes qui ont provoqué la grande transformation sociale du Québec. Moi et Marc Chabot (coauteur de la chanson Journée d’Amérique) voulions nous approprier notre propre vision de l’autre Amérique. Une journée comme le prolongement d’une vie en terre du Québec. La vie d’un homme qui porte ses rêves, son histoire et ses combats dans la poitrine. Terminer la chanson avec « Vingt-quatre heures de combat » faisait ainsi écho à l’éveil de notre condition sociale. Ce Québec d’aujourd’hui, je le vois silencieux, son souffle est court, son sol encaisse les vieilles blessures, ses lois 101 s’effritent dans les tranchées. La parole de Miron est toujours d’actualité, car tout reste à faire et tout appelle à une vigilance par rapport à nos choix de société et conséquemment avec le politique. Les mots de Miron ont encore plus de force aujourd’hui, une force essentielle, celle qui nomme la longue quête individuelle et collective, celle qui donne une conscience de notre existence dans cette partie de l’Amérique. »
Amour sauvage, amour
Interprète: Yann Perreau
Amour, sauvage amour de mon sang dans l’ombre
Mouvant visage du vent dans les broussailles
Femme, il me faut t’aimer femme de mon âge
Comme le temps précieux et blond du sablier
Dans cet extrait de L’Amour et le Militant, l’auteur célèbre un amour sauvage qui perdure malgré l’épreuve du temps et de l’âge. Est-ce que le jeune fougueux et ardent en vous y a vu une utopie?
« Non. L’amour est un défi, et j’aime les défis. La poésie de Gaston Miron me dit qu’il était un passionné, un batailleur, un amoureux, un homme courageux… Un homme intelligent et plein de gros bon sens. Il n’y a rien d’utopique là-dedans. »
Soir tourmente/Le Vieil Ossian
Interprète: Daniel Lavoie
Certains soirs d’hiver, lorsque, dehors,
Comme nouvellement
Il fait nuit dans la neige même
Les maisons voyagent chacune pour soi
Quel lien faites-vous entre Soir tourmente, un texte saisissant sur la mort de l’homme, et Le Vieil Ossian (fortement inspiré du froid hivernal) pour les juxtaposer ainsi?
« À vrai dire, je ne vois pas tellement Soir tourmente comme un poème sur la mort de l’homme autant que sur la conscience d’être, sur la vie en fait. Nous mourons tous, tous les jours à petites lampées. Si j’avais à faire un lien, et j’ai, évidemment, vu la question, je dirais que Le Vieil Ossian vient faire un contrepoids jubilatoire à ce constat bien vrai, mais quand même triste, que la mort nous accompagne tous les jours de notre vie. Le lien, une conscience intense de la vie et de la mort, de la beauté et de la magie qui sont là, dans la matière même de l’univers. »
Nature vivante
Interprète: Gilles Bélanger
En un tourbillon du coeur dans le corps entier
Comme un ciel défaillant tu viens t’allonger
En un tourbillon du coeur dans le corps entier
Mes paumes te portent comme la mer
Cet extrait et bien d’autres démontrent à quel point Gaston Miron a toujours accordé une importance capitale à la musicalité de ses poèmes, au point d’en faire une exigence. Comment avez-vous laissé cette musicalité guider vos compositions pour le projet Douze Hommes rapaillés?
« Gaston Miron était le poète de l’oralité; le recueil de poèmes n’était pas la finalité. Il défendait ses poèmes sur la place publique. Je suppose que, comme il y a eu plusieurs versions de L’Homme rapaillé où il apportait des corrections, c’est sur le terrain qu’il découvrait le mot juste, une faiblesse ou une longueur. Pour moi, les textes de Gaston Miron chantent déjà, de là le bonheur de les mettre en musique. »
Avec toi
Interprète: Martin Léon
Je suis un homme simple avec
Des mots qui peinent
Et je ne sais pas écrire en poète éblouissant
Je suis tué (cent fois je fus tué), un tué rebelle
Vrai que Gaston Miron, homme du peuple, se distingue par une poésie aux mots simples, mais aux images fortes. Est-ce l’ultime but d’un chansonnier, être aussi évocateur et en même temps si simple?
« Idéalement, oui, mais ce n’est pas vraiment la première étape au moment d’écrire. L’essence de la démarche demeure d’abord assez simple: avoir quelque chose à dire, le ressentir vraiment, prendre un crayon, y aller avec son coeur, aimer le résultat, aimer l’offrir. Pour le reste, la force d’évocation et la grandeur d’un texte vont beaucoup selon la sensibilité et le talent de chacun. C’est comme ça. Il y aura toujours plus grand et plus petit que soi. Mieux vaut alors y aller tout simplement avec sincérité et au meilleur de nous-mêmes. C’est un des buts ultimes, ça aussi. »
Le Camarade
Interprète: Vincent Vallières
Tu allais Jean Corbo au rendez-vous de ton geste
Tandis qu’un vent souterrain tonnait et cognait
Pour des années à venir
Dans les entonnoirs de l’espérance
Qui donc démêlera la mort de l’avenir
Le Camarade est un poème sur Jean Corbo, jeune felquiste mort en posant une bombe qui lui explosa entre les mains. Quelle image est la plus marquante, le désir de changer les choses au péril de sa vie ou la triste fin d’un révolutionnaire tué par sa propre révolution?
« Pour moi, Le Camarade est un hommage lucide à un jeune idéaliste maladroit. On ressent dans ce poème une grande conscience de la fatalité. L’image de la triste fin d’un révolutionnaire tué par sa propre révolution suggère un cynisme qui n’existe pas chez Miron. Celle du désir de changer les choses au péril de sa vie glorifie un peu trop le geste de Corbo. Qu’à cela ne tienne, un jeune homme doit être certes désespéré, malheureux, aliéné et exploité pour en arriver à poser un tel geste. En 2010 au Québec, sommes-nous encore prêts à mourir pour des idées? »
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La poésie, la chanson, les douze interprètes sélectionnés
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MIRON ET LA MUSIQUE
On savait déjà que la poésie de Gaston Miron et la musique faisaient bon ménage. Ses textes, d’abord, en sont remplis, de musique. Il suffit de les dire à voix haute pour saisir aussitôt la maîtrise rythmique de leur auteur, sa conscience aiguë de la matière sonore.
Et puis sur scène, Miron aimait bien chanter et s’accompagner à la ruine-babines, dont lui plaisaient sans doute les sons à la fois plaintifs et rassembleurs – on trouvera d’ailleurs aisément des vidéos du Magnifique en action en tapant les mots « Gaston Miron chante » dans le moteur de recherche de YouTube.
Vers la fin de sa vie, le poète conjugue comme jamais la musique à la poésie en montant, épaulé des musiciens Bernard Buisson et Pierre St-Jak, le spectacle La Marche à l’amour, qu’ils donneront un peu partout au Québec et dont un disque sera tiré en 1992, lors d’une représentation à La Licorne.
Gaston Miron serait comblé de voir les chemins qu’emprunte aujourd’hui sa poésie, chantée depuis quelques années par Chloé Sainte-Marie, puis maintenant par ces Douze Hommes rapaillés qui non seulement en saisissent toute la portée musicale, mais en préservent aussi l’essence politique et identitaire.
Une notion fondamentale, pour qui veut comprendre pleinement le legs de celui qui disait en 1978, en recevant le prix Duvernay de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal: « Quand je me bats, c’est pour ma différence, c’est-à-dire ma culture au monde. C’est ma version à moi de vivre l’humanité. Et cette version est une contribution et un enrichissement à la culture universelle. » (Tristan Malavoy-Racine)
On arrive toujours
Au bout du parcours
Du lieu d’où l’on vient
Toujours à l’affût
De ce que l’on fût
Toujours on revient
Poursuivre ses envies
Finale asservie
À qui nul n’échappe
À quoi bon courir
Tenter de s’enfuir
La vie nous rattrape
Comment se comprendre
Sans se faire surprendre
Par l’ennui qui veut
Étirer les jours
Diluer l’amour
Filament baveux
Se heurter le front
Sur l’ultime affront
À qui nul n’échappe
Les années d’usure
Les points de suture
La vie nous rattrape
Dépression nerveuse
Sinistrose creuse
Joyeuse imposture
Toxicomanie
Maladies, manies
Sous la couverture
Compassion futile
Existence stérile
À qui nul n’échappe
Flatteuse de bedaine
Énergie soudaine
La vie nous rattrape
Margoulin du vice
Vendeur de service
Marché dévolu
Économie reine
Télé souveraine
Contrôle absolu
Montagne d’ordures
Consommation pure
À qui nul n’échappe
Politique de poche
Publicité moche
La vie nous rattrape
Pourquoi ce tapage
Tout ce dérapage
Qui mine la boule
Tapage sur la gueule
Pour qu’elles toutes veulent
Entrer dans le moule
Engraisser la Terre
Mode vestimentaire
À qui nul n’échappe
Macchabée fétiche
Qu’on sort de sa niche
La vie nous rattrape
Organes qu’on trafique
Boum anatomique
Conscience taciturne
Dissection fertile
Esprit mercantile
Pollution diurne
Pas de maquillage
Face à ce pillage
À qui nul n’échappe
Comme les honoraires
Les frais funéraires
La vie nous rattrape
Planète qui tourne
Climat qui s’enfourne
Et culte du vide
Ressources qui s’épuisent
Industries qui puisent
Bras de fer avide
Arme biologique
Grande fosse septique
À qui nul n’échappe
L’Humanité siège
Sur son propre piège
La vie nous rattrape
Où faut-il aller
Vers où s’envoler
Quand on est la route
Vaut-il mieux se fondre
Ne pas se confondre
Dans cette déroute
Perdu dans la ronde
De ce vaste monde
À qui nul n’échappe
À quoi bon souffrir
À quoi bon mourir
La vie nous rattrape
Voici un extrait qui commence au septième couplet (Margoulin du vice)
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